Le No Code : Comment développer sans programmer
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L’une des principales conséquences de la crise sanitaire que nous traversons depuis deux ans a été l’accélération de la transformation numérique des entreprises. En effet, depuis début 2020, les chefs d’entreprises (qu’elles soient digitales ou non) renforcent les budgets consacrés à la transformation digitale : infrastructures, applications, sécurité ont été les trois piliers qui ont connu une pression accrue de la part des dirigeants, entrainant, de fait un goulet d’étranglement voire une désorganisation des services IT. La pandémie a introduit une notion d’urgence, avec des organisations devant adapter rapidement leurs stratégies de mise sur le marché de nouveaux services et d’applications numériques. Des exigences ayant contribué à accentuer cette pression sur les métiers, confrontés désormais à des délais bien plus courts pour livrer les projets tout en garantissant leur qualité. Dans le même temps, bon nombre d’entreprises de très petite taille ont également dû se confronter à cette nouvelle donne. Sans possibilité de recourir à un service informatique pour le développement de logiciels internes ou d’applications ou site web pour les clients, elles se sont tournées vers des solutions alternatives.  

Pression sur les délais, offre qui doit s’adapter en temps réel à la demande, absence de stratégie IT interne, manque de ressources humaines en matière de développement, etc. toutes les conditions sont réunies pour confirmer une tendance vieille de quelques années, celle du No Code/Low Code.  

Le No Code et le Low Code : quelles différences ?

Le développement sans code (No Code) est un mode de développement de logiciels, applications et site web qui ne nécessite pas la maîtrise du langage informatique. Concrètement, le No Code masque à l’utilisateur la complexité du code source de l’application. Le code source est un texte qui détaille les instructions d’un programme informatique dans un langage de programmation compréhensible et utilisable par tout un chacun. Cependant, dans le développement dit « classique », il est indispensable de maîtriser la grammaire, la syntaxe et l’orthographe propre à chaque langage existant. Et le nombre de langage est ahurissant puisque selon les sources, il existerait jusqu’à 9000 langages différents !  Bien entendu, personne ne maîtrise toutes ces langues mais les quatre premiers langages (Python, C, Java et C++) représentent, selon l’Index TIOBE, 50% des 150 langages que la plateforme recense. Quel que soit le langage retenu, l’apprentissage est nécessaire. Il existe de nombreuses formations supérieures spécialement dédiées à l’apprentissage du développement ainsi que des initiatives citoyennes comme Simplon qui forment tous ceux qui veulent apprendre le code dans le cadre d’une réorientation professionnelle. Pourtant, il n’en reste pas moins que l’apprentissage du code reste couteux et complexe.  

Exemple d’un texte de programmation en langage Python

C’est la raison pour laquelle, depuis quelques années, des solutions permettant de s’affranchir de la programmation ont vu le jour1. Les premières ont consisté à permettre aux internautes de créer des sites internet grâces à des templates prêts à l’emploi (les templates sont des exemples de design mis à disposition des utilisateurs qu’ils peuvent réutiliser) associés à des outils intuitifs permettant de créer un site à la demande. Dès 2006, Wix a offert la possibilité à l’utilisateur lambda de construire son propre site web sans une seule ligne de code et de le personnaliser grâce à des outils puissants. Grâce à Wix, il est possible d’ouvrir un site d’e-commerce et de le faire héberger sans avoir appris la moindre ligne de code.  

Exemple de création de site internet grâce à Wix 

L’une des forces des offres telles que Wix (on peut également citer Jimdo ou Squarespace) est de proposer une interface que l’on appelle WYSIWYG (What You See Is What You Get) c’est-à-dire dans laquelle le texte qui apparait dans l’éditeur est affiché de la même manière sur le produit final, à savoir le site web. Il n’est plus nécessaire de faire tourner le moteur qui va convertir les lignes de codes pour avoir un aperçu du résultat final. Ainsi, il sera possible de visualiser les différentes itérations de modifications avant de mettre le site en ligne.  

Autre exemple, celui d’Unity, célèbre dans le développement de jeux vidéo, qui permet d’éditer la scène de jeu telle que la verra le joueur grâce aux Unity Game Services, ensemble de services clés en main permettant de créer son propre jeu vidéo. 

Les Unity Games services : une palette d’outils intuitifs pour parfaire son jeu vidéo 

A côté des solutions clés en main, il existe aussi une panoplie d’outils que l’on qualifie de Low Code (ou peu de programmation en français). Les offreurs de solutions low code partent du principe que les outils no code ne permettent pas une flexibilité suffisante pour créer des applications ou des sites web efficients. Le recours à des templates pré-programmés peut, en effet, dans certains cas conduire à des applications sous-optimales car formatées. Le Low Code est une alternative intéressante. Avec une programmation low code, l’utilisateur mobilise très peu le langage de programmation puisque le travail est réalisé à partir d’une interface graphique. L’intérêt est de gagner du temps puisque la programmation pure ne représente plus que 20% du temps du développeur et ainsi se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.  Une étude montre que 84% des entreprises interrogées ont désormais recours au Low Code afin de réduire les tensions dans les services IT, tout en réduisant les temps de développement. Les entreprises ont recours à ces solutions lorsqu’elles veulent mettre rapidement en place des outils de gestion interne comme des API (Application Programme Interface) permettant d’interroger un CRM (Customer Relationship Management) ou un ERP (Enterprise Resource Planning). Creatio est une entreprise qui propose une offre logiciels Low Code permettant de développer un outil puissant de CRM de manière intuitive et facilité. Le gain de temps est indéniable comme le montre la figure ci-dessous. L’un des exemples les plus connus de services utilisant le Low Code est sans conteste WordPress, CMS (Content Management System) qui permet de créer un site web de contenu à partir de templates customisables.  

Source : Créatio, The State of Low-Code/no Code 

Le développement des solutions No Code/Low Code a entrainé l’émergence d’une nouvelle fonction au sein des entreprises, fonction que plusieurs employés peuvent occuper simultanément, celle de Citizen Developer (ou développeur citoyen ou encore développeur métier). Le Citizen Development que l’on peut traduire par « développement informatique mis à la portée de tous » – est lié aux outils qui visent à simplifier la création de programmes. L’utilisation des technologies No Code/Low Code permet à ces salariés de devenir autonome (c’est-à-dire à ne plus recourir aux services internes informatiques ou à des prestataires externes) pour développer et tester des applicatifs métiers très rapidement et de façon agile. Non seulement cette approche accélère l’innovation, mais elle rend le processus de développement d’applications plus efficace et moins coûteux. 

Les exemples de start-up ayant développé leur offre en utilisant des solutions No Code/Low Code ne sont pas encore nombreux mais une tendance se dessine. On peut citer Dwellito qui propose des maisons modulaires clés en main. Les fondateurs du site revendiquent l’utilisation d’outils comme Webflow, Google Sheet ou Zapier, pour un temps de développement de 60 heures !  

Le No Code, un marché en pleine expansion

Selon certaines estimations, le marché pourrait générer un revenu de près de 187 milliards de dollars à l’horizon 2030 contre 10 milliards de dollars en 2019. Le taux de croissance annuel moyen attendu serait de 31% ! Ces chiffres sont à mettre en regard des difficultés exprimées par les entreprises pour recruter et retenir des ingénieurs IT. Celles-ci misent sur les solutions No Code/Low Code pour construire des applications métiers. Selon Gartner, 50% des entreprises américaines devraient avoir recours à ces techniques de programmation d’ici 2023. Pour Microsoft, c’est 450 millions d’applications No Code/Low Code qui devraient être développées dans les cinq ans à venir.  

On retrouve ces signes positifs dans les récentes annonces des sociétés installées sur le marché du développement No Code/Low Code. Zapier, qui permet d’automatiser des actions entre plusieurs applications web, est aujourd’hui valorisée à près de 5 milliards de dollars. Outsystems, après un tour de table à 360 millions de dollars en 2018, a levé 150 millions en 2021. L’entreprise, qui a fêté ses 20 ans l’an dernier, continue sa route pour atteindre près de 9,5 milliards de dollars de valorisation. Creatio, dont nous avons parlé plus tôt, a levé 68 millions de dollars en février 2021 alors que Oribi, une société israélienne spécialisée dans la production d’outils d’analyse marketing a levé 15 millions de dollars lors d’un tour de table de Série B.  

Source : Pinver 

Start-up : l’avenir du CTO incertain ?

L’explosion du No Code et du Low Code depuis quelques mois pose la question de la pertinence d’intégrer un CTO (Chief Technical Officer) dans sa start-up. Pour mémoire, le rôle du CTO est essentiel à toute entreprise développant des solutions numériques et technologiques puisqu’il s’agit de la personne en charge de la partie technique et de la stratégie d’innovation de la structure. C’est également la personne qui, lorsque l’équipe s’étoffera, aura la charge du département informatique et de l’équipe de développeurs. Sans CTO, il était jusqu’à lors impossible de lancer une start-up. Cette position est aujourd’hui remise en cause avec le recours de plus en plus aisé aux solutions No Code/Low Code qui permettent, comme nous l’avons vu précédemment avec le Citizen Developer, de confier la mission de développement à toutes les bonnes volontés même si celles-ci ne disposent pas de compétences techniques en matière de développement informatique. La question est alors de savoir s’il est possible de monter une start-up technologique sans développeur dans l’équipe.  

Le recours à des solutions No Code/Low Code permet :  

  1. Un time-to-market plus rapide 

Les petites structures comme les start-up ont besoin d’être plus rapidement en capacité de proposer un produit sur le marché là où les grandes entreprises peuvent assouplir leur calendrier. Le No Code/Low Code permet de prototyper en quelques jours une première version test d’une solution sans aucune contrainte de programmation. 

  1. Des économies substantielles 

Recourir au No Code/Low Code permet, du moins dans un premier temps, de s’exonérer de l’embauche d’un développeur et des coûts salariaux qui y sont liés. 

  1. Une flexibilité accrue et un temps de réaction raccourci 

Contrairement au développement conventionnel, pour lequel la réactivité des équipes dépend de la charge de travail, le recours au No Code/Low Code permet une grande flexibilité. Le moindre changement mineur ou un changement plus profond de l’application peuvent être envisagés en quelques heures. 

  1. L’automatisation du workflow permet de se concentrer sur son produit 

L’intérêt du No Code/Low Code est d’automatiser, très facilement, les tâches commerciales répétitives pour se concentrer sur la croissance de l’entreprise 

Le recours au No Code/Low Code permet des bénéfices pour les entreprises 

Le No Code/Low Code, la meilleure solution pour développer ? 

Pour autant, cette solution n’est pas la panacée. Dans toute entreprise, le cœur de la valeur réside dans le produit ou le service proposé. De plus en plus, les créateurs de start-up utilisent le modèle Lean pour accélérer la mise sur le marché d’un produit ou d’un service en mode PMV (Produit minimal viable : il s’agit d’un produit fonctionnel que l’on fait tester à une batterie de clients potentiels avant d’en compléter les fonctionnalités. L’intérêt est de construire le produit « en marchant » pour tenir compte des retours d’expérience client). Le développement No Code/Low Code est une des briques logicielles des lean start-up parce qu’il permet d’être très réactif et adaptable à toute proposition de modification. Pour autant, le recours au No Code/Low Code entraine une forme de bridage de l’innovation et de l’idéation puisque le chef d’entreprise se retrouve prisonnier des briques de programmation proposées par les solutions No Code/Low Code. Le chef d’entreprise peut ne pas pouvoir répondre aux demandes des clients qui se retrouvent frustrés. De même, le recours aux solutions clés en main, avec des templates préconçus, risque de conduire à un formatage du produit pouvant laisser penser que la solution a été réalisée à moindre coût.  

Le recours aux solutions No Code/Low Code, s’il s’avère pratique et peu coûteux pour lancer une première version d’un PMV, peut devenir très limitant par la suite. Comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, le No Code/Low Code est caractérisé par une absence de souplesse, la simplification imposant des contraintes. La gratuité apparente de certaines offres masque en réalité un modèle plus complexe, de type freemium, et l’ajout de certains plugins ou fonctionnalités peut vite faire monter la note. Lorsque l’étape PMV sera franchie, il sera alors moins coûteux de faire appel à un développeur (freelance, agence ou recrutement interne) et utiliser un logiciel propriétaire, gage d’indépendance vis-à-vis de toute plateforme. Autre écueil, les revendications de propriété intellectuelle. En effet, comment revendiquer la propriété d’une application développée avec des briques en libre accès et n’appartenant pas à l’entreprise qui les utilise ?  

Enfin, question non négligeable, qu’en est-il du respect du RGPD lorsque l’on développe une solution basée sur les briques No Code/Low Code d’entreprises dont le siège social ne se situe pas en Europe ? La plupart des sites internet étant basés aux États-Unis, ils ne sont pas soumis au RGPD. Pour autant, la plupart sont en règle avec les exigences du règlement européen, même si les termes ne sont pas toujours clairs.  

L’OPINION D’UN PROFESSIONNEL SUR LE NO CODE/LOW CODE

Pour conclure sur le sujet, nous avons donné la parole à Julien Lovato, Responsable Workplace et Infrastructure chez Talan, le groupe de conseil en innovation et transformation.

  • Bonjour Julien, tu es Responsable Workplace et Infrastructure chez Talan. Qu’est-ce que Talan et comment définirais-tu ton poste ?

Créé il y a près de 20 ans, Talan est un groupe international de conseil en innovation et transformation par la technologie.

Mon rôle consiste à animer une équipe de consultants experts de notre agence de Bordeaux. Notre équipe accompagne nos clients dans le déploiement « d’environnements de collaboration » et « d’infrastructures cloud » permettant aux entreprises de répondre aux transformations et besoins technologiques modernes; La digitalisation de processus à l’aide des technologies No Code / Low Code est l’une de nos expertises.

  • Comment se positionne Talan sur la question du No Code / Low Code ?

Talan a la conviction que le No Code / Low Code est l’un des accélérateurs technologiques de la transformation numérique des entreprises. Avec ou sans code, une bonne gouvernance est un facteur clé du succès du déploiement d’applications. Elle doit permettre un bon niveau de sécurité, un suivi du cycle de vie des applications et l’accompagnement des utilisateurs dans ces nouveaux usages. Afin de réussir l’adoption du No Code / Low Code, nous accompagnons nos clients dans la mise en place de « centres d’excellence » et de leur démarche « Citizen Developer ».

  • – Avez-vous développé, en interne et à l’usage des collaborateurs, des applications No Code / Low Code ?

Oui, Talan réalise et utilise en interne des applications No Code / Low Code. Nous avons mis en place, par exemple, une application de gestion de la jauge des présences dans le cadre du protocole sanitaire et une application de suivi de l’on boarding des nouveaux collaborateurs.

Chaque collaborateur Talan peut accéder à la plateforme Low Code de Microsoft, la « Power Plateform », pour réaliser en toute autonomie ses propres applications (collecte d’information, workflow de validation …).

  • – Selon toi, quelle place va occuper le No Code / Low Code à l’avenir. Existe-t-il un risque de voir, un jour, disparaitre le métier de développeur ?

Selon moi, l’industrie logicielle a toujours chercher à améliorer la productivité des développeurs en améliorant les environnements de développement et en automatisant les tâches répétitives. Le No Code / Low Code offre simplement de nouveaux outils pour les développeurs. L’apparition de la programmation objet n’a pas fait disparaitre la programmation procédurale ; le No Code / Low Code ne fera pas disparaitre le développement.

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avril 22, 2024